Cours de botanique.

Calopteryx pénétra dans l'enceinte du fort, après un petit signe de tête pour saluer la sentinelle. Les paroles de Bitterly l'amusaient, car quand il avait parlé du mot "pitié", il ne sous entendait pas un tel sens négatif. Au contraire, il cherchait juste à la faire sourire... Mais après tout, c'était aussi bien, recevoir des cours par plaisir était encore plus intéressant!

- Ne vous méprenez pas. Je voulais juste dire que mes compétences étaient plus que réduites, et en aucun cas ne voudrait recevoir un cours qui ne serait pas donné par plaisir - petit sourire - J'espère que vous prendrez autant de plaisir à me voir me dépatouiller avec une épée ou tout autre instrument rigide, que j'ai eu à vous enseigner quelques bases sur les plantes. Et pas d'échange de bons procédés... ne vous sentez pas obligée de répondre favorablement à ma requête sous prétexte que j'ai fait de même pour vous. Nous n'avons sûrement les mêmes obligations, et je vous invite à privilégier votre temps pour vous même...

Calopteryx sursauta au cri persant de la vicomtesse. Décidément, il ne s'y habituerait jamais... En riant, il poursuivit.

- J'ai cru comprendre par ailleurs que vous formiez déjà messire Alamasse? Il va devenir un grand chevalier d'ici peu, avec tous vos enseignements! - grand sourire - C'est une bonne chose. Nous avons discuté un peu hier, il m'est fort sympatique. Si on ne le touche que très peu, il est de bonne compagnie... - rires - C'est pourquoi je vous le répète : je ne demande pas à être formé sur le champ. Mes cours peuvent attendre...

Il fit un petit clin d'oeil à Bitterly, et attendit avec elle la réponse ou l'arrivée de la-dite Gerli.

- Et enfin : non, je n'ai pas d'épée... Vous voyez! Je n'ai même pas de bonne volonté!

Souriant intérieurement devant les sourcils froncés de la domestique, Calopteryx lui tendit sa cape, le reste ne pouvant être oté sans atteinte à la pudeur. Encore que bon... il aurait pu faire sécher sa chemise aussi. Il avait envie de se poser près d'un feu, et de boire une bonne tisane à la menthe. Bien entendu, il ne voulait en aucun cas vexer ladite Ménina et ses tisanes... améliorées? Il prendrait ce qu'on lui offrirait.

- J'ai bien un couteau, si ça peut faire l'affaire... Pas d'épée ni de bouclier. Pas de bâton. Soit nous attendons que je m'achète une épée, si le couteau ne peut faire l'affaire. Dans ce cas, vos cours ne seront pas pour demain... - petit rire - Sinon, hé bien selon vos disponibilités, et vos envies. Encore une fois, je ne veux pas m'imposer.

Arrivés au salon, ils furent accueillis par une agréable chaleur. Le feu crépitait dans l'âtre, et cette simple vision suffisait à donner à Calopteryx la chair de poule, tellement il avait froid (admirez le paradoxe!). C'est donc tout naturellement qu'il alla se réchauffer. Sa chemise lui collait à la peau, sensation fort désagréable...

- Veuillez m'excuser, mais je vais oter ma chemise, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Elle est trempée, et je risque d'attraper froid si je ne la fais pas sécher.

Joignant le geste à la parole, il déposa le vêtement près du feu. De toute manière, n'étant pas une boule de muscles ambulante, il ne pensait pas choquer la vicomtesse... à la limite la domestique? Pas de quoi fouetter un chat. Assis près des flammes, il massa doucement la cicatrice de brûlure qui lui couvrait l'épaule et l'omoplate droit, qui était sensible aux variations de chaleur.

- Y'a pas... rien ne vaut un bon feu! C'est très plaisant chez vous...

Un couteau, mouais, en même temps heureusement qu'il en avait un, sinon comment ferait-il pour manger ? Esquissant un sourire, la brune laissa le roux finir sa tirade sur les lames et les cours armés, puis elle répondit en ces termes :

- Un couteau ne suffira pas non, manier le couteau est different du maniement d'épée. Tout comme la dague est sensiblement différente aussi. Mais me voici rassurée que vous ayez tout de même quelque chose de pointu chez vous. Hum pas de baton ? Ca ne coute que 9 écus pourtant. Voulez vous que je vous en offre un ? Enfin, nous pourrons commencer quand vous voulez. Je peux vous prêter le matériel nécessaire. J'ai tout ce qu'il faut ! Et ce sera, je le répète, quand vous voulez.

Et puis, hop, le feu, ah bonheur de crépitements et de flammeches orangées. Bitterly s'approcha rapidement de l'âtre, Calopteryx sur les talons. Fermant les yeux, elle huma la bonne odeur de bois brûlé tout en mettant ses mains au dessus, pour les réchauffer. De quoi de plus aurait-elle pu avoir besoin en cet instant ? Probablement rien. Mais l'instant de delectation fut soudain rompu par une annonce textile. Oter sa chemise ? Bon certes elle avait déjà vu des hommes torse nu, oui elle se souvenait avoir vécu similaire situation avec son cher ami Rochebelle. Mais tout de même, un mignon roux sans chemise, juste à côté d'elle, alors qu'ils étaient seuls dans le salon, la "prude" (comme l'appelait volontiers Zades) trouvait cela un peu étrange. Cela dit il n'avait pas tort. Garder une chemise trempée n'était pas une bone idée si l'on ne voulait pas attraper la mort. Heureusement pour elle, sa chemise était quasiment intacte. Elle n'eut donc pas besoin d'angoisser sur le comment elle allait faire pour rester dans la descence.

- Vi vi, j'aime bien... C'est Gerlinea qui s'occupe de la décoration... Moi je n'ai pas trop le goût de ces choses.
Ne pouvant s'empêcher de regarder son voisin quand elle lui parlait - rien de plus normal au demeurant - elle eut le regard attiré par le mouvement de ses doigts. Quelle était donc cette trace ? La pro des cicatrices et de la franchise posa immédiatement la question, se penchant légèrement vers lui pour mieux voir.

- Mais qu'est ce que vous vous êtes donc fait ?!

Calopteryx sourit à la réponse de la vicomtesse. Il la voyait mal, en effet, en demoiselle d'intérieur, soucieuse des concordances de tons et de couleurs... Enfin quoique... lui même n'était pas un expert en décoration, mais il avait bon goût (du moins c'était ce qu'une femme lui avait dit par le passé). Et ici, la domestique avait fait du bon travail : il devait faire bon y vivre. Et puis la chaleur du feu... arf! Un vrai bonheur...

- M'offrir un bâton? Humm... je ne sais pas, en ai-je vraiment l'utilité? Sur les chemins, peut-être, mais pour le moment à Vendôme... Je puis maitriser un homme s'il le faut, ayant quelques bases de défense au corps à corps, même si cela reste modeste. Après, s'il est armé... même muni d'un bâton, je vois mal comment éviter un coup d'épée? Si vous avez une épée supplémentaire, une vieille par exemple, je pourrai l'utiliser pour m'entrainer. De toute manière, je ne pense pas que vous y alliez sérieusement avec votre mignon roux, sinon j'aurai vite fait de me faire trancher pendant l'entrainement...

Il rit à cette remarque, tout en se massant l'épaule. Il s'aperçut par la suite du regard de la vicomtesse, et la question (réaction normale d'une Bitterly) ne tarda pas à sortir.

- Vous parlez de cette cicatrice? Disons que c'est un... souvenir de voyage - Il eut un petit soupir - Pas des plus plaisants... Un souvenir marquant, moralement... et physiquement du coup - petit sourire vague - Enfin, que voulez-vous, la vie est faite de cicatrices, vous ne trouvez pas? Vous même en avez de jolies sur le visage, et je ne me risquerai pas à en chercher d'autres sur votre corps - clin d'oeil à sa marraine - Elle m'est toujours un peu douloureuse à cette période de l'année...

Il y eut un petit silence, seulement couvert par le crépitement des flammes. Calopteryx ouvrit ses deux mains vers les flammes pour en apprécier la chaleur. Le regard toujours vers le feu, il posa une question qui le titillait depuis peu.

- Puis-je me permettre une question? Je voudrais savoir si votre statut de noble vous a été octroyé à votre naissance... Sous-entendu êtes-vous née noble? Je ne connais pour ainsi dire pas grand chose de vous, mises à part votre passion pour les armes et votre aversion pour les chevaux...

Il se tourna vers la vicomtesse, en pensant que la lueur des flammes, ajoutée à sa couleur de cheveux, risquait de lui faire monter le roux à la tête...

Le regard dans les flammes, Calopteryx écoutait la vicomtesse lui parler un peu de son passé. Une enfance loin d'être facile, visiblement. Il choisit de ne pas rompre le silence à la fin de sa tirade, la laissant dans ses souvenirs. C'était assez étrange, finalement, de se rendre compte à quel point ils étaient différents... De caractère, peut-être pas tant que ça. Mais dans les chemins qu'ils avaient pris, sans aucun doute... Et pourtant aujourd'hui, ils étaient tous deux assis devant un feu, après avoir partagé une froide matinée dans la neige. Comme il aimait à penser, la vie a d'agréable de ce qu'apportent les rencontres.

Il rompit ces quelques instants de silence (un exploit pour Bitterly, s'amusait-il à penser) en s'étirant doucement.

- Nous avons au moins ce point commun, être nés de la roture. Après, nous avons pris chacun une direction différente... - petit sourire - Je vais réfléchir pour le bâton, après tout ma bourse n'est pas assez pleine pour m'acheter une épée, et de fait je n'ai guère l'utilité d'apprendre l'art de la lame pour le moment.

Calopteryx s'amusait à observer avec quelle facilité la vicomtesse jonglait entre le vouvoiement et le tutoiement. Cela ne le dérangeait pas, du moment qu'elle n'employait pas les deux usages à la fois (du style "je peux t'avoir un bâton si vous voulez"...). Au moins avait-elle l'air sortie de sa mélancolie.

- Ma foi, pourquoi pas... M'entraîner avec un bâton peut être une bonne idée. Mais je pensais qu'ils coûtaient 9 écus? - petit clin d'œil à la vicomtesse - Je suis disponible pour un entrainement dès que possible, il suffit que nous prenions rendez-vous comme aujourd'hui. Tant que vous me garantissez l'absence de coups à la tête tels que ce matin dans la neige, je ne rechignerai pas... - rire.

Cette viande avait décidément l'air très sèche. Avec amusement, Calopteryx observait du coin de l'œil sa voisine se faire les dents.

Après une laborieuse mastication, la Vicomtesse parvint à avaler la bouchée - qui par ailleurs avait un goût délicieux. La mine rieuse elle regarda son filleul, dégagea une mèche qui lui obscurcissait la vue et lança :

- Je peux vous faire le baton à 9 écus si vous y tenez tant, mais... Je pensais que puisque vous deviez faire des économies... Quant à l'entraînement rendez-vous demain ! Enfin, si vous êtes disponible. Du tu, du vous, oui la brune mélangeait facilement les deux avec les personnes qu'elle ne connaissait pas depuis très longtemps mais qu'elle appréciait beaucoup. Ce qui était présentement le cas. Mordant à nouveau dans sa viande, elle proposa a son voisin : Fvous ch'en voulez ? Une fois le morceau avalé, elle rougit légèrement. Hum pardon. C'était pas très compréhensible... Euh donc vous en voulez ? Ah puis buvez votre tisane elle va être froide sinon ! Sitôt la phrase finie, elle s'empressa de porter le liquide brûlant jusqu'à sa bouche. Ahhhh rien ne vaut les tisanes de Menina, croyez moi. Sourire aux lèvres, elle sentait déjà les effets "tisane alcoolisée" poindres. Rien de mieux pour se réchauffer !

Suivant le conseil de la vicomtesse, Calopteryx porta la tisane à ses lèvres. Il eut un petit sourire juste avant la première gorgée, une petite odeur d'alcool lui indiquant gentiment l'un des ingrédients du breuvage. Arf... ça faisait du bien! Dans le futur proche, quand Calopteryx décrira les fameuses tisanes de Menina, il sera bien incapable d'annoncer quelle plante aura été infusée... il est des choses comme ça, qu'on ne retient pas directement...

- Vous remercierez Menina de ma part, ses tisanes sont excellentes. L'ingrédient "magique", probablement... héhé. Pour ma part, mes tisanes ont plus le goût de plantes, et n'ont pas d'effet secondaire, mais j'apprécie grandement celle-ci.

Adressant un clin d'œil à sa voisine, Calopteryx continua de savourer sa tisane. Cela faisait partie d'un ensemble de petits moments qu'il affectionnait particulièrement. Il adorait par exemple tenir sa tasse avec ses deux mains pour se réchauffer, la porter à sa bouche et souffler légèrement pour sentir la chaleur du breuvage lui chatouiller le visage. Y'a des plaisirs comme ça, qui ne s'expliquent pas... (Calopteryx ignorait que 550 ans plus tard, son descendant hériterai de cette lubie, s'inscrivant dans le groupe très fermé des "moments Nutella"...). Reposant sa tasse, il s'étira doucement.

- Entrainement demain? Pourquoi pas... ça me va très bien. Vous allez me voir beaucoup en peu de temps, mais bon, au bout d'un moment, on s'habitue à la couleur... Il saisit un morceau de viande sèche. Je vais en prendre un morceau, volontiers.

Arrachant non sans peine un morceau avec les dents - car avec les orteils c'était plus difficile - il avala après mastication prolongée sa bouchée. Miam! Décidément... tout était excellent ici. Avec grand plaisir, il finit sa tisane avec un petit soupir de contentement.

Après avoir dit bonsoir à sa marraine, Calopteryx resta seul un petit moment, à profiter de la chaleur du feu. Il se sentait bien, l'esprit légèrement embrumé par la fatigue et la tisane alcoolisée. Il avait envie, comme chaque soir, de jouer un peu de musique. Assis là, près des flammes, la situation ne pouvait pas être plus favorable. Il sorti un petit pipeau de sa besace, qu'il emportait toujours avec lui - souvenir de son passé - et, avisant la distance respectable des appartements de la duchesse, commença à jouer... Un air doux, presque mélancolique, qui lui rappelait sa Bretagne.

Calopteryx ignorait combien de temps il avait pu jouer... quelques minutes sans doute, le temps s'arrêtait toujours avec la musique. Un petit bruit le sortit de sa bulle. Se retournant, il vit Gerli qui le regardait d'un air double de reproches... gênée un peu aussi. Ben oui, si vous avez suivi, il était nu en partie...

- Excusez-moi, je venais voir quel était ce bruit. M'dame est partie se coucher? Si ça ne vous dérange pas... je veux dire... la flûte, la musique... j'ai peur que... Et puis vous allez attraper froid, je vais vous chercher une chemise propre...

Calopteryx l'arrêta alors qu'elle s'apprêtait déjà à partir à la recherche de vêtements plus convenables. Il était tard après tout...

- Ne vous inquiétez pas, j'allais m'en aller. Vous avez raison, inutile de réveiller Bitterly, même si je ne pense pas que la musique soit parvenue jusqu'à ses oreilles. Et puis je ne pense même pas qu'elle soit couchée... J'avais fermé la porte, et... enfin bref! - il se leva et remis sa chemise, redevenue tout à fait sèche - Vous remercierez votre maîtresse de son hospitalité, j'ai passé un agréable moment. Merci à vous également, ainsi qu'à Menina pour ses tisanes délicieuses. Je vous souhaite une bonne soirée, et vous dis à demain, héhé.

Il salua Gerli, et quitta Montoire pour retrouver sa demeure. A demain... a demain? Il allait revenir tous les jours??? Un roux... un peu exhibitionniste... Gerli espérait que sa maîtresse ne l'avait pas vu dans cet accoutrement... Elle lui demanderait demain...